Quel avenir pour l’investissement responsable ?
En signant en 2015 les Accords de Paris, 196 pays – dont la Suisse – se sont engagés à réduire de moitié leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Cet engagement entérine la volonté de ces derniers de diriger les flux financiers vers un développement plus durable, faiblement carboné, tout en renforçant la capacité d’adaptation des entreprises et des États face aux défis du réchauffement climatique. Mais que s’est-il passé depuis ? Comment cette ambition se traduit-elle dans les faits et dans la loi ? Et surtout, quelles conséquences cet élan a-t-il en matière d’investissement ?
On l’observe depuis de nombreuses années, l’investissement responsable a pris une place prépondérante dans le secteur financier. Le fait d’évaluer les acteurs économiques à l’aune de critères extra-financiers, comme leur impact environnemental et sociétal ainsi que la qualité de leur gouvernance (ESG), est devenu aujourd’hui un passage obligé. L’objectif affiché est bien sûr d’encourager la politique de durabilité soutenue par l’ensemble des signataires des Accords de Paris, mais aussi de renforcer la maîtrise des risques. Il n’en demeure pas moins qu’à ce jour, aucune norme ou standard ne fait foi dans l’évaluation des performances des organisations et des entreprises en matière de durabilité. Ce qui aboutit parfois à des résultats étonnants comme celui de Tesla qui obtient un 40/100 dans le cadre de la notation S&P Global ESG Score contre un 85/100 pour Philip Morris International. Amener un peu d’ordre dans les manières de faire apparaît dès lors comme une nécessité. Ne serait-ce que pour empêcher les entreprises de pouvoir se prévaloir de durabilité alors qu’elles font le contraire. Les réglementations et les législations peuvent ici jouer un rôle capital. Tout du moins, poser des jalons.
En Europe, plusieurs initiatives ont été mises en place pour encadrer la stratégie de réglementation durable de l’Union européenne (UE) ainsi que son « Pacte Vert pour l’Europe ». Ces initiatives ont pour objectif de réaliser la transition vers une économie neutre en carbone d’ici 2050. Elles sont également des outils qui doivent favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre tout en faisant la promotion d’une économie durable.
Ceci passe également par une meilleure protection des investisseurs. Pour y répondre, L’Union européenne a introduit en 2018 la Directive sur les marchés d’instruments financiers (MiFID II) qui a pour but d’améliorer la transparence des marchés financiers. Cette directive inclut en effet des dispositions visant à intégrer l’appétence à la durabilité des clients dans le processus de conseil en investissement, obligeant ainsi les conseillers financiers à prendre en compte leur sensibilité ESG lorsqu’ils leur recommandent un titre, un véhicule de placement ou un produit.
En 2021, plusieurs changements ont également touché les marchés : tout d’abord avec la mise en place au sein de l’UE d’une nouvelle taxonomie, dont le cadre permet d’identifier les activités « économiquement durables », ensuite, avec la publication du Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), qui impose aux gestionnaires de fonds et aux conseillers financiers actifs dans l’UE d’expliquer comment ils intègrent les critères ESG dans leurs processus d’investissement. Sans oublier la Non-Financial Reporting Directive (NFRD) – prochainement remplacée par la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) – qui oblige les grandes entreprises opérant dans l’UE à divulguer des informations sur la manière dont elles gèrent les questions de durabilité ainsi que les risques ESG.
Aux États-Unis, la réglementation concernant les investissements durables et les critères ESG est en cours de développement, mais elle n’est pas aussi avancée qu’en Europe. Pour l’heure, la Securities and Exchange Commission (SEC) met l’accent sur la transparence des investissements ESG, mais cette exigence ne s’applique qu’aux fonds utilisant un label ESG ou prenant en compte les facteurs ESG dans leur processus d’investissement.
Les grandes entreprises ayant une empreinte carbone mondiale sont également invitées à intégrer dans leur fonctionnement les normes de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), les exigences de la Taskforce on Nature-Related Financial Disclosures (TNFD) ainsi que celles du Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ).
La Suisse, bien que non-membre de l’UE, suit de très près l’évolution des réglementations européennes. Ayant établi une « Stratégie climatique à long terme », la Confédération a déjà commencé de son côté à adapter son cadre réglementaire tout en cherchant à maintenir sa compétitivité sur le marché international.
Dans ce cadre, divers projets de loi concernant les investissements durables sont en cours de discussion même si, comme à son habitude, le législateur suisse laisse à l’autorégulation le soin de mener le processus de décision. Intégrant une collaboration étroite avec les acteurs financiers, dont les organes de surveillance et les associations financières, cette méthode appelée aussi « soft law » permet de ne pas imposer des dispositions trop contraignantes et immédiates au marché. Elle offre ainsi au secteur un temps précieux pour s’adapter et agir efficacement.
Avec l’entrée en vigueur le 1er janvier 2024 de l’Ordonnance fédérale sur les devoirs de diligence et de transparence des entreprises en matière de droits de l’homme et d’environnement (ODiTr), les autorités suisses ont mis en place un nouvel instrument qui répond à des objectifs proches du cadre européen imposé par la CSRD. En effet, cette ordonnance exige des grandes entreprises établies en Suisse – ayant au moins 500 employés, un bilan égal ou supérieur à CHF 20 millions, ou encore un chiffre d’affaires dépassant les CHF 40 millions – de rapporter publiquement sur certains de leurs impacts. Mais elle est moins contraignante que la CSRD appliquée en Europe. Ces différences réglementaires engendrent toutefois de nouveaux devoirs pour les entreprises suisses qui, si elles ont des activités dans un ou plusieurs pays de l’Union, sont alors aussi concernées par la CSRD. Elles ont dans ce cadre l’obligation de fournir de nouvelles informations et pourraient être amenées à rédiger deux rapports : l’un sous l’angle de la CSRD et l’autre sous l’angle du droit suisse. Celles-ci pourraient même s’exposer à des sanctions dans les deux juridictions en cas de non-respect des directives ou si les informations données sont erronées.
Au regard de ce qui vient d’être dit, on comprend mieux pourquoi investir de manière responsable revêt une telle importance. Financer le changement est l’un de nos principaux leviers pour faire avancer positivement et durablement notre action en faveur de l’environnement, du climat et de la société. Un grand nombre d’entreprises redouble d’efforts dans ce sens pour préparer l’avenir, mais le différentiel réglementaire existant entre les régions et les pays illustre l’écart qu’il nous reste à combler pour que l’ensemble des acteurs économiques tire tous à la même corde, en respectant les mêmes règles et en appliquant les mêmes normes.
Du côté de la Suisse, l’autorégulation fait son œuvre. Elle semble en tout cas être la voie la plus efficace pour se conformer au marché tout en s’offrant une certaine flexibilité. Toutefois, jongler entre l’extra-territorialité de la réglementation européenne et le droit suisse crée pour les entreprises des doublons inutiles et des coûts supplémentaires.
Au vu du brouillard qui persiste encore autour de la notion même d’investissement responsable et des réglementations qui le régissent, les investisseurs pourraient bien se tourner en priorité vers des entreprises de confiance et de qualité. Ou encore, ne s’intéresser qu’aux sociétés ayant une activité compatible avec leur démarche d’investissement à long terme. Ceci ne doit pas cependant nous faire tomber dans l’excès inverse : en excluant tout ce qui n’entre pas la case « durabilité ». En effet, le rôle de l’investisseur est aussi de permettre aux entreprises de progresser et de faciliter leur transition vers un futur meilleur, pour elles, mais aussi pour la nature et le monde qui les entourent.
Guillaume León
Client Relationship Officer
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