Finance et neutralité suisse à l’épreuve de la géopolitique
Officiellement reconnue par les grandes puissances européennes lors du Congrès de Vienne en 1815, la neutralité suisse avait pour but de maintenir un îlot de stabilité au cœur du Vieux continent afin de contenir de potentiels conflits. Pierre angulaire de la politique extérieure de la Confédération, cette notion se trouve néanmoins régulièrement discutée, surtout quand survient un affrontement majeur. L’escalade des tensions entre la Russie et l’Ukraine en est le dernier exemple. En effet, suivant les sujets, la neutralité suisse satisfait peu les acteurs concernés, les belligérants comme leurs soutiens. Et ceci n’est pas sans répercussion pour la place financière du pays.
La neutralité suisse
Depuis plus de deux siècles, la Suisse fait partie, au même titre que l’Irlande et l’Autriche, de la famille des États qui ont fait le choix de la neutralité. Cette position lui a permis au fil du temps de rester à l’écart des guerres et, en conséquence, de servir régulièrement de médiateur entre les parties au conflit. Cependant, ce statut ne doit pas être compris comme un encouragement à la passivité. Bien qu’il exige de demeurer en dehors de toute alliance militaire, il s’accompagne le plus souvent d’une diplomatie active et d’un engagement profond au sein des organisations internationales. À noter que la neutralité n’empêche pas le commerce. Durant la Deuxième Guerre mondiale par exemple, la Suisse commerçait en effet librement avec l’ensemble de ses voisins, exportant même des armes, en s’appuyant sur la Convention de La Haye de 1907.
La place financière suisse
Réputée dans le monde entier pour sa stabilité et sa discrétion, la place financière suisse joue un rôle crucial dans l’économie mondiale. Malgré la fin du secret bancaire sur lequel elle fondait une grande partie de son succès, elle demeure très attractive et compétitive grâce à son expertise en gestion de patrimoine et en investissement ainsi que pour son innovation dans les domaines de la fintech et des services financiers numériques. Le pays demeure par ailleurs un hub financier incontournable pour de nombreux clients internationaux.
L’impact des sanctions contre la Russie
Lorsque la Russie a lancé son agression contre l’Ukraine en 2022, la Suisse a été confrontée à une situation délicate. Traditionnellement neutre, elle a dû naviguer dans un environnement géopolitique complexe, notamment lorsqu’il s’agissait de suivre (ou non) les sanctions économiques prises par certains États contre la Russie. Dans ce contexte, la Suisse a fini par adopter une position proche de celle de l’Union européenne, en reprenant – parfois en les adaptant – la plupart de ses résolutions. Cette décision a marqué un tournant significatif dans la politique de neutralité de la Suisse. D’autant plus que son manque de clarté en matière de politique étrangère a créé un certain flou sur le plan diplomatique. Les pays occidentaux n’ont d’ailleurs pas manqué de critiquer l’absence de zèle de la Suisse dans l’application des sanctions. Les tergiversations du gouvernement concernant l’envoi de matériel militaire à l’Ukraine ont également ajouté à la confusion. En conséquence, le pays n’a pas réussi à servir d’intermédiaire crédible aux yeux de la Russie pour entamer des négociations, ce dont ont profité avec succès plusieurs pays du Moyen-Orient.
Conséquences pour la place financière suisse
Les sanctions contre la Russie ont eu des implications directes sur la place financière suisse. Les banques suisses, qui géraient d’importants patrimoines russes, ont dû se conformer aux nouvelles réglementations, gelant certains avoirs et limitant les transactions. Cela a entraîné une réévaluation des risques et une adaptation des stratégies de gestion de fortune. Cette situation a en outre stimulé le débat sur l’éthique et la responsabilité des banques suisses en contexte de conflit. Ce qui a eu pour conséquence un transfert de capitaux, mais aussi le déménagement de certaines activités vers le Moyen-Orient, négoce des matières premières et gestion de fortune en tête.
Perspectives
La situation actuelle représente un moment décisif pour la neutralité de la Suisse et pour sa place financière. Elle soulève aussi de nombreuses questions. Notamment sur l’équilibre entre la neutralité historique et les responsabilités internationales du pays. À l’avenir, si la Suisse va sans doute continuer à jouer au funambule face à l’évolution du paysage géopolitique, il importera qu’elle sache préserver les fondements qui ont fait de sa place financière un rouage essentiel de l’économie mondiale et la qualité de son expertise.
À noter que les différentes positions défendues par le bloc occidental et les BRICS dans le cadre du conflit russo-ukrainien représentent également un défi complexe pour la Confédération. En tant que pays neutre avec une forte dépendance économique envers les États des deux parties, la Suisse devra manœuvrer avec habilité, non seulement pour maintenir sa stabilité économique, mais aussi sa réputation. L’avenir de la place financière suisse dépendra donc de sa capacité à s’adapter. Mais n’est-ce pas là ce qui a toujours fait sa force ?
Tony Pangallo, CFA, CAIA
Partner & Senior Financial Advisor
Vous aimerez aussi
Point sur les Marchés Septembre 2024
Les pressions inflationnistes semblent s'atténuer dans de nombreuses régions du monde, les principaux indicateurs affichant des tendances stables ou en baisse.
La finance comportementale: investir sous influence
Pour répondre à ses besoins, l’investisseur dispose de nos jours d’un accès global et sans limite à de multiples sources d’informations. Presse, sites spécialisés, réseaux sociaux, relations interpersonnelles, les conseils et recommandations stratégiques ne manquent pas.
Point sur les Marches Août 2024
Les taux d'inflation sont en baisse et la récession attendue ne s'est pas matérialisée, ce qui laisse entrevoir des perspectives positives pour la croissance de l'économie et des bénéfices. Ce scénario optimiste est favorable aux actifs plus risqués, en particulier aux actions.